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L’œuvre d’Élodie Lanotte est une entreprise de « dé-finition », ainsi qu’elle l’a elle-même caractérisé. En imaginant une étymologie du mot reposant sur le préfixe « dé- » qui, dans la langue française, est dérivé du préfixe privatif latin « dis- », l’artiste invente un nouveau sens au mot, lui donne une autre origine, factice mais plausible, fait éclater un premier carcan : la langue. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Le travail d’Élodie Lanotte questionne tout ce qui, dans notre monde d’images, produit, conforte ou défend des normes. Il s’attaque à l’arbitraire des représentations, à tout ce qui se fait passer pour essence, là où il n’y a que contingence, à commencer par ce qui a longtemps dominé la culture classique du point de vue esthétique, mais surtout éthique : le canon. Derrière les proportions et les caractéristiques physiques de corps irréels, irréalisables, s’abritent des concepts et des valeurs morales : bienséance, unité, harmonie. Mens sana in corpore sano. Les œuvres d’Elodie Lanotte subvertissent la philosophie, la science et la psychologie occidentales, qui ont pensé le corps en termes dualistes et naturalistes, et tentent de le dé-finir, de lui restituer un espace de possibles.

 

Pour accomplir ce retournement des valeurs éthiques et esthétiques qui cadenassent les représentations du corps, l’artiste retrouve le chemin des jeux de masques. Dans la série Vêtements, les étoffes qui recouvrent les membres des sujets photographiés sont distendues, plissées, méconnaissables, elles perdent toute caractéristique et ne permettent aucune identification. Le genre, la classe sociale, l’âge des sujets nous demeureront inconnus, tout comme leurs visages. Les vêtements fonctionnent donc comme des masques, ils cachent moins qu’ils ne mettent en valeur certains fragments de corps, pieds, aisselles, épaules, jouant sur le désir du spectateur et sa propre imagination. Cette fragmentation des corps brise l’unité tant recherchée par la pensée classique notamment parce qu’elle dévoile certaines zones taboues, car pileuses ou « basses ». En utilisant le vêtement comme un écran, l’artiste inverse les valeurs et replace donc ses sujets au temps de l’indétermination et des possibles.

 

De même, dans sa vidéo Plis, un corps palpite sous un voile, ondule, semble danser. Là encore, le tissu rend méconnaissables les membres, il sert d’écran. Ce passage par l’informe est à nouveau un retour à un corps non défini, non différencié, en devenir. Le pli est donc à la fois refuge et matrice. L’impossibilité de voir le corps le rend paradoxalement extrêmement présent par ses seuls mouvements, « cendre toujours inachevée »1, mais porteuse des « infinis visages du vivant »2.

 

Comme chez les premiers chrétiens, pour Elodie Lanotte « chaque créature est livrée au péril de son aspect »3, car dès la naissance, les êtres sont classés, inventoriés. La catégorie première est le sexe, masculin ou féminin, que des couches de pratiques culturelles soigneusement inculquées transforment ensuite en « genre ». Suivant la pensée d’Ann Oakley ou de Béatriz Préciado, Elodie Lanotte nous montre, notamment dans sa vidéo Dominique, que le corps se débat à l’intersection du sexe et du genre, à la croisée de la nature et de la culture. L’on y voit ondoyer une chevelure, support de la rêverie poétique et érotique, notamment chez Baudelaire et Maupassant, et tabou dans nombre de religions. A l’échelle 1, cette vidéo semble être un miroir. Elle nous trouble ainsi par le rapport que notre propre corps entretient avec cette chevelure qui nous masque un visage mais nous révèle toute la sensualité de l’être auquel elle appartient, car elle n’est pas sans évoquer avec ambiguïté le sexe. Georges-Didi-Hubermann, commentant les paradoxes de la pensée chrétienne du corps, invoque ce parallèle lorsqu’il affirme que « rien n’est plus troublant qu’une chevelure qui recouvre le corps, (...) tombe en cascade, se retourne et se love en boucles, en contre-boucles »4. Elodie Lanotte souligne donc, dans cette vidéo au titre épicène qui signifie « se rapportant à Dieu », combien culturel est notre rapport au corps, fait de tabous appris et ressassés. En jouant sur les valeurs et l’ambiguïté des représentations, elle rend à ces dernières toutes leur fécondité et plonge le spectateur dans le doute, un doute ontologique, presque cartésien, qui rétablit l’être au terme de ses métamorphoses : je doute, donc je suis.

 

1 René CHAR, Partage formel.

2 René CHAR, La Bibliothèque est en feu.

3 Georges Didi-Hubermann, L’image ouverte.

4 Ibid.

 

(Hélène Doub , commissaire d'exposition pour le prix d'art Robert Schuman)

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Dans une conférence qui m’a marquée, Jean-Luc Marion nous dit qu’il faut « combattre la prétention de quelque autorité que ce soit [...] à nous dire ce que l’humain normal doit être, ce que chacun doit devenir pour être un humain normal. [...] Toute tentative de fixer une définition à l’humain, de dire comment il peut s’identifier, à quoi il doit s’identifier est une tentative totalitaire ».

 

Le propre de l’humain, c’est qu’il n’a pas de définition. Un animal des possibles.

L’enfance, le temps des jeux, des déguisements. Mais très vite, il faut choisir sa place, son rôle.

Être reconnaissable, clairement identifiable.

J’ai grandi en me familiarisant, si l’on peut dire, avec la violence qu’exercent les normes de genre.

J’ai grandi avec cette violence symbolique qui prend l’alibi de l’ordre naturel.

Violence symbolique dans la fabrique des regards qui masque l’arbitraire de ces représentations.

J’ai vécu dans un corps impossible, illégitime.

 

Ces normes, variables, fluctuantes.

Ces normes qui définissent l’ontologie humaine, en faisant passer pour fondement ce qui se révèle être le résultat d’effets de sens, liés à des idéologies qui le déterminent.

 

Dé-finir les possibles, subvertir les formes rigides de l’identité, tenter de contrer, par un effort constant, la violence des ‘devoir-être’.

 

 

Elodie Lanotte